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Rose des vents
 

« Les disparus nous envoient des clins d’œil à travers les vivants et les choses.»

D’abord j'étais posé sur le sol, Nylon coloré de rose et vert, plié et froissé, baguettes démontées mêlées aux herbes courbées. Courbées par un grand vent qui, en rafales, emportait les cris de joie des gens rassemblés sur l'esplanade. Ils étaient venus là tout exprès, communiants d'une même messe, chacun penché, sérieusement comme il se doit pour jouer, au-dessus de nous tous.

Deux mains m'ont déplié. Mon étendue s'est lissée. Tout de suite, j'ai réalisé un petit saut, virevolté sur quelques mètres pour offrir, l’espace de plusieurs tressautements, une émotion à celui qui avait oublié de bien me tenir. Puis, ses deux mains m'ont jeté dans l'air avec élan pour me voir flotter. Un grand cri d’espoir accompagnait ces gestes. On soufflait sur moi, pour rire, pour demander au vent de me cingler. Mais surtout pas en bourrasques. Non, très régulièrement. À la façon d'un ventilateur qui ne mugirait, ni ne mollirait.

Maintenant, les deux mains s'activent en un ballet joyeux qui me guide, m'oriente dans le bon sens de la bise.
Je crois qu’au sol on m’admire déjà… D'ici, à cette altitude vaporeuse, à quelques mètres du soleil, j'aperçois à peine les doigts pointés vers moi. Je ne les entends pas, mais les devine : des grelots de rires sensés résonner contre ma toile. Des rires offerts parce que je deviens l’interprète entre la Terre et le ciel, magie des éléments. Parce que sur l’un de mes coups d’aile légers, je viens de m’expédier plus loin, vers ces étoiles de soleil dont les rayons m'effleurent. C'est beau de regarder la Terre, étrangement magique et silencieux.

Je continue de m'élever. Cette ascension est délicate car le vent est joueur. Mais on veille sur moi, je suis certain qu’au sol chacun de mes mouvements est analysé. Je suis regardé, redressé, contrôlé. Deux mains souples me retournent, me basculent, me poussent sans rudesse, m'isolent des souffles pâles d'en bas.
Quelques vibrations saccadées se suivent, mes couleurs flottent au vent, je frémis comme sous des cajoleries osées.

Maintenant, du sol, on me distingue à peine. Je suis si loin... Je vais bientôt atteindre le bout de ce monde. Je suis fier, presque vantard : pour un peu je passerais de l'autre côté de la Terre ! Mes deux ailes et mon corps sont flattés de courants d'air d'émotions. Le moment est intense, poétique. Je voudrais des mots magiques et une mémoire pour garder ces instants.
Envie de mélanger les teintes de pétales de mon corps aux sauts du vent couleurs gris lune... En bouffées impétueuses, je me vautre dans l’air, me lisse dans le doux, glisse dans le venteux et tourbillonne entre deux rafales tourmentées.

Deux mains me tirent pour que je revienne vers elles.
Hé, elles me pressent de jouer à la girouette pour que je m'abatte ! Déjà ? Si seulement je pouvais refuser ! Mais c’est impossible, la fantastique montée sans horizon, où seul un fil me retenait, touche à sa fin. J’ai connu cette humiliation auparavant. Des mains qui tirent sur mon fil avec une énergie folle. Je chute d’abord de quelques mètres, le vertige m’étreint. Je suis déçu, je ne connaîtrai pas l’ivresse d’un oiseau dans le ciel libre… lorsqu'il s'éloigne, s'envole, vers nulle part, sans attache.
Je suis obligé de me laisser rappeler énergiquement. Ça va trop vite, j'en perds le souffle. Maintenant je plonge à toute allure. Je pique vers le sol, en ligne droite sans palier.
C’est un moment court et terrible. Complètement à l’inverse de la balade que je viens de vivre.
Je chute durement. Oublieur de bleu, d'ivresses. Mon nez se plante dans le marron dur de la terre. Deux mains m'attrapent et me serrent fort.
Deux mains qui ne me caressent plus. Elles me roulent vite.
Je suis rangé, c’est fini.

   
   
   
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