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«(...)
elle rêve
d'une conscience aiguë sans ride
qu'elle va prendre un couloir à se tenir debout (...)»

Si longtemps

« Je suis né du chaos,
comment voulez-vous que je sois aimé ?
»
(Shakespeare, Richard III)

sommeil et rêve
vite vite avant qu'ils ne s'échappent
il y avait si longtemps
un livre de hasard posé sur un lit blanc
et une femme exténuée tombée au-dessus dort
c'est extraordinaire elle qui ne s'assoupissait jamais
car toutes les détentes familières
que l'on croit naturelles
lorsque s'y brise la vie
ont une soif tassée en continue agonie
elle rêve
il y avait si longtemps
d'un siège étrange où recroquevillée
entre cuir métallisé du fauteuil d'un barbier
et Skaï usé celui d'un cireur
elle se relâche pourtant
enfin regarde souffrir la barre de ses soucis
langue vide aspirée d'abandon
le temps au contraire de tarir
devine et attend la faveur lumière
bonheur éveillé du repos
peu importe si cet instant n'a qu'un temps
elle rêve
frissonne et gémit (aussi de froid)
mais nage du fluide qui confond toutes les veilles
celles désespérées à cachets à limites de spacieux
elle rêve
d'une conscience aiguë sans ride
qu'elle va prendre un couloir à se tenir debout
à doigts crochus elle étire ses paupières fermées
lutte pour acquérir des yeux à engloutir la suite vie
elle rêve
qu'elle doit s'éveiller
pour continuer d'octroyer des équinoxes
écarter des désirs déshabillés à mûrir certaines joies
se tenir debout sans d'exorbitantes poussées
elle rêve que son cour rit pour elle
sommeil et rêve
elle voudrait qu'ils durent durent durent
autant qu'un baiser
elle céderait même un destin pour isoler
ce repos avide le saisir et s'en voyager davantage
elle rêve
qu'il est l'heure d'y aller une scène l'attend
où chacun veut lui parler sans écran ni unisson
un juste milieu - oui un milieu fondé -
entre feuille ladre exténuée et maigre liberté scélérate

elle rêve
d'un couloir court à utiliser pour se mémoire rendre
quelques claques à repousser l'amnésie
hochements violents de sa tête à atterrir où il faut
et elle s'éveillerait prête (presque heureuse)
un brouillard rouillé et farfelu
allégé de sa peur d'être femme
s'illumine d'une attention nébuleuse
celle des siestes trop longues
doucement elle ouvre les yeux
fin du rêve
cherche le réel sourit à la crinière du réveil
ses aiguilles viennent de l'aimer d'un trésor à l'écouler
comme eau égrenée sur son corps si fatigué

© Marie Mélisou
http://www.ecrits-vains.com/global/auteurs/melisou/silongtemps.htm

 

Sourdine à deux temps

entrent des faisceaux
sans couleurs
ils absorbent malgré moi la chaleur
assise seule sur la chaise
où nous étions deux alors
je te peins en sourdine
de portraits musicaux
utopie voyage
d'un inexistant face à face
j'habite seule la pièce
où nous étions deux auparavant
les notes sont mes éphémérides
à combler le néant
comme une cale sans air
au bout du fond de tout
la couleur moutarde revêche
rythme l'esclavage qui bondit souvent
une heure de temps en temps
mon cœur dort sur le sol
où nous nous tenions à deux
n'effectue pas son entrée
se protège des voleurs
et mon cœur en docks déserts
oublie un peu les pas de deux
grouille de rats agités et sourds
ils troublent d'émeutes à réprimer
tous les airs désemparés
même ceux mis en sourdine

© Marie Mélisou
http://www.ecrits-vains.com/global/auteurs/melisou/sourdine.htm

 

Château de mer

Agitée, l'eau salée des yeux du ciel, celle mystérieuse en
lacs grandioses, me dicte des châteaux à dépasser mes chimères.
D'abord quelques murs se dressent, ici et là, impromptus,
solitaires et mouvants. Je ne sais s'ils vont me rendre un peu
de ces minutes. Elles me manquent, elles font tourner la Terre.
Puis ces murs grandissent, bougent, reculent d'eux-mêmes. Ils
s'écartent en créant une enceinte cabrée. Se vêtent de couleurs,
ramages aux doigts de lumière, blancs mousseux de rondeurs que
regardent les foules, mèches folles poivre et sel, verts de
sèves bonheurs qui viennent naturellement aux lèvres.
L'eau continue de s'ouvrir selon la moye de son lit, c'est dire
si les tailleurs de châteaux d'eau sont agiles. Quelques gemmes
de saveur m'éclaboussent, tandis que les mots dépassent mes
pensées, les châteaux d'eau semblent devancer ma conscience.
Les murs sont formés. Ils dansent. En mouvements et en desseins.
L'eau. Vivante. Porteuse de mes empires, de ma foi différente,
des écrits de plus tard, de querelles d'avant, se joue d'une
éthopée description.
Ce royaume de vagues levées, imprenables, comprend le langage et
les couloirs de mes pensées. L'éternité exprimée en quelques
minutes dit avec limpidité ce qu'elle feignait depuis des
millénaires. Sans coups férir, ni déformer la vérité, elle me
permet d'avoir accès à moi. Enfin.
La vie nonchalante est finie. Plus de savates à enfouir - elles
ignorent la profondeur -, ni de petits dépoussiérages - ils
déplacent si peu - mais une révolution.
Une vraie.
Balayage minutieux jusqu'aux extrémités enfin dépouillées. Un
exil recherché, conscient et éclairé de l'intérieur. Une chronique
mise à jour de tous les moments violés et lacunaires.
À murs de géants, je commence.

© Marie Mélisou
http://www.ecrits-vains.com/global/auteurs/melisou/chateau_de_mer.htm

 

Angles alertes

transporter son haut-le-cœur
sur l'eau soyeuse trempée de sa sueur
bains moussants de frissons
davantage tièdes que l'air
compter sur une seule épaule
petite s'y appuyer quand les lacets
de la vie enfilent des virages
à revers cul par-dessus tête
glisser sur les rites les plus attendus
pour quitter le heurté prit à bras-le-corps
détails et traînées de noir
sur des couchers de soleils prunes
lutter en vain pour rêver
moindrement acerbes les heures en embuscades
exagèrent l'indécence des travées
sur des chassés-croisés de gouttes salées
d'improbables angles traînent
alertes ils fracturent le temps fâcheux
ou fâché et inspirent des leçons droites
à conduites tortueuses

© Marie Mélisou
http://www.ecrits-vains.com/global/auteurs/melisou/angles.htm

 

Crépusculaire ballade au vent

Aiguës, mes mains à ciel vert, en touriste de moi, poignantes,
s'étirent sans rien préparer. Elles achèvent seules des gestes
perçants qui ne sont pas miens, sans rien cultiver. Cela
infiniment, depuis si longtemps, sur la répétition des jours
qui s'entrechoquent.
Pourtant aujourd'hui, juste un instant, mes mains se sont arrêtées,
suspendues devant le reste d'un fil lumière tissé par le jour,
apporté par le vent. Une de mes pensées, détournée en frôlement répit
crissé de l'épuisant, a consommé les noces claires de ces secondes
rêveuses et agréables.
Les clameurs de mes mains en rémission relâchée ont hésité sur le
chant soufflé.
Depuis, dehors, dedans, je hurle à l'ordonné comme une possible
atteinte. Me ranger, me poser, pour dominer ces mains criardes et
aigres qui s'agitent et me désordonnent.
Je cherche d'où viendrait ce vent nécessaire.
Celui qui éroderait leurs angles aux phalanges vives. Mollir ou
résister. Je ne sais si, raides, mes muscles se cimenteraient ou si,
moelleuses, mes mains se laisseraient bercer comme soie envolée.
J'aime les imaginer, rabotées et arrondies, adoucies et cicatrisées,
lorsque le vent aura travaillé à les encercler, à les changer.
Alors la femme la plus ancienne qui est en moi, celle vieille de cet
instant qui sera libérateur, la plus touchante, la plus profonde, la
plus vraie, celle aux gestes gracieux, pourra exister.

© Marie Mélisou avril 1999
http://www.ecrits-vains.com/global/auteurs/melisou/crepusculaire.html

 

   
   
   
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