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Interview sur le poème « Leitmotiv » réalisée par des étudiants américains
(Octobre 1997; Université de Swarthmore, PA)

Marie Mélisou
Tout d'abord, bonjour à toutes et tous. Et un grand merci pour vos questions. Elles sont fines et me touchent avec justesse. J'ai été agréablement surprise.
Pour mes romans jeunesse je travaille avec des classes d'enfants qui ont entre 6 et 11 ans, mais travailler avec des étudiants sur un poème est une première pour moi, et c'est vraiment un grand plaisir.
Marcia Brown (auditrice), Théo Caprilds et Elizabeth Cho
1- Pourquoi est-ce vous vous défendez contre le monde?
2- Est-ce que vous êtes plus heureuse maintenant que vous êtes «morte»?
3- Quelle est la signification du titre «Leitmotiv»?
4- Quand avez-vous su que vous vouliez devenir poète?
Marie Mélisou
Je note d'emblée que quasiment toutes vos questions partent de l'hypothèse suivante : l'auteur du poème, soit Marie, est «je», comme si le texte était obligatoirement autobiographique.
Là, deux pistes s'offrent à moi, soit démentir, soit abonder... Je vous donne la clé, ce poème n'est pas une fiction, «Je», est bien l'auteur. .. Mais ce n'est pas tout le temps le cas avec mes autres poèmes.
1) Je suis surprise par cette première question ! En général, je suis souriante, ouverte aux contacts, pas sur la «défensive». Je me demande si l'étudiante a pensé particulièrement à ce vers «Plus personne ne peut», ou si c'est l'ambiance générale du poème qui l'a inspirée...
Je me «défends contre le monde», uniquement lorsque je me sens agressée, ce qui était le cas, le jour de l'écriture de ce poème.
Quelqu'un a écrit : «Toute inquiétude engendre l'agressivité».
Pour moi, toute agressivité se transforme en une naissance de texte, roman, nouvelle, ou poème.
2) Non, absolument pas. Je suis «autre». Je voudrais être vivante, entière. Mais alors je serais différente, et moins, ou pas, productrice d'écrits. J'aurais une conscience en sommeil, et une sensibilité avec d'autres centres d'intérêts.
3) Leitmotiv, d'après mon dictionnaire, signifie : phrase ou formule qui revient à plusieurs reprises dans une oeuvre littéraire, dans un discours.
Leitmotiv, est le mot qui s'est imposé à moi. Pas à cause d'une «reprise» de vers. Mais parce que ce poème m'évoque une rengaine, un thème à me chantonner, la totalité à me réciter plusieurs fois. Dans ce cas précis, c'était pour me convaincre de la force que je voulais/voudrais avoir, une imperméabilité face à l'assaut d'une personne me dépréciant.
4) ...Je ne sais pas si je suis poète !
On est boulanger en apprenant à pétrir, musicien en travaillant son solfège, ou en ayant une oreille absolue, etc... Je pratique la poésie d'instinct, sans jamais l'avoir apprise. A 14 ans, j'écrivais déjà des vers... Alors suis-je poète ?
Si ma formation, et mon parcours, sont artistiques , je suis écrivain autodidacte. J'aime les mots, j'aime jongler avec, les effleurer et les caresser. Je tente de les apprivoiser lorsque sur une émotion, une inspiration je me précipite vers mon clavier, ou une feuille.
Si je suis poète, c'est involontairement, comme je dois respirer, boire, ou comme j'aime aimer. Le mot «poète» m'effraie un peu, car on fait des amalgames faciles, comme 'poète maudit qui écrit des vers de mirliton'... C'est déplaisant. Pourtant je ris en pensant joyeusement que je veux bien écrire des «peau-aime mots dits» !
Elizabeth Hakala, Christine Lattin
1- Pourquoi est-ce que vous préférez la mort à la méchanceté?
2- Est-ce que vous pouvez expliquer le titre du poème s'il vous plaît?
3- Nous aimons beaucoup ce poème. Est-ce que vous pouvez nous envoyer d'autres poèmes?
4- Pourquoi est-ce que vous avez décidé de partager des poèmes sur Internet?
Marie Mélisou
1) Non, je ne préfère pas la mort à la méchanceté. La première ne peut être ni contrée, ni évitée si elle doit survenir, alors que la seconde est un comportement auquel je peux faire face en tant qu'adulte.
La mort de «je» n'a pas été choisie. C'est un état que subit «je». Comme souvent dans les rapports humains, «la morte» pourrait être la résignée, et «les méchants», des vivants. Une qui subirait, et les autres qui agiraient. Mais justement non, j'ai voulu «leitmotiver» une volonté contraire.
3) Vous me touchez profondément ! Merci beaucoup d'aimer ce poème. Parce qu'il n'est pas un exercice intellectuel, avec des jeux de mots, c'est un poème «vrai», vécu. Ce sera avec une grande joie que je vous ferai parvenir d'autres poèmes, si vous le souhaitez (2).
4) Pour plusieurs raisons. D'abord, avant Internet, je suis restée des années sans plus écrire de poèmes, sans relire mes anciens, en perdant ceux que je commençais sur des coins de feuilles. Donc, cette idée-partage a été riche avant même de commencer, ne serait-ce que par le fait de rassembler ce qui existait.
Puis j'ai découvert que cette action instantanée, instant-donné, d'envoyer des textes était source d'émotions. Mon geste pouvait être réfléchi, ou spontané.
Enfin, je trouve magique d'écrire à 11 h, de me relire à 11 h 10, d'envoyer un mail à 11 h 25 à des lecteurs, qu'ils soient amis réels ou virtuels, inconnus que je côtoie sur des listes [où un esprit de corps, toutefois, se crée, tandis qu'un esprit critique perdure], et d'avoir des retours, des resssentis dès... 11 h 45.
C'est vraiment fabuleux de pouvoir faire exploser la sclérose des créateurs, solitude enfermante, avec un partage immédiat.
Krista Hollis, Nyssa Taylor et Maureen Vernon
1- Comment est-ce que vous avez choisi le titre «Leitmotiv»?
2- Est-ce vous avez écrit d'autres poèmes sur le même sujet?
3- Pourquoi est-ce que le personnage est mort? Et comment elle est morte?
4- Dans quel sens est-ce qu'elle est morte?
5- Quelle est l'importance des «huit heures»?
6- Quel est le lien entre les «poussières d'étoiles» et «la mort»?
Marie Mélisou
1) Ce mot s'est vraiment imposé à moi. Comme si «je» voulait répéter indéfiniment le poème pour se convaincre ! Non de sa mort, mais du fait qu'on ne pouvait/pourrait plus le tuer/blesser.
2) Oui, dans «L'ouvre-rage», «Dis maman ?» ou «Comme chaque matin», et d'autres... je travaille ce thème. Il est récurrent dans mon écriture. La mort, les douleurs, les souffrances. J'ai beaucoup à dire, mais ça «sort» par petites touches, comme des pics fiévreux...
J'ai un recueil sur la mort. En ce moment je rassemble mes poèmes sur les mots, et je pose un peu les maux... Deux autres thèmes se dégagent : dans un registre plus gai, les relations amoureuses (plus que louer l'Amour lui-même), et les interrogations sur les mots, sur les écrivains-écriveurs, et la création artistique.
3) Avez-vous remarqué que je ne le dis pas dans le poème ? Aucun sous-entendu. Aucune piste. Chacun peut puiser dans sa propre histoire, dans son vécu personnel, l'événement ou le détail auquel se raccrocher pour ne pas se laisser envahir par les mots des autres.
Comment est-elle morte... Voici : «Je» est morte à l'instant d'une autre mort, celle d'un être cher. Certaines personnes ont peur de mourir. D'autres ont peur de perdre ceux qu'ils aiment. Elle, «je», est morte devant une morte aimée. Un enfant. J'ai vu se refermer une époque de ma vie.
4) Le mot «sens» est excellent ! Car justement 'elle' est morte au sens du «sens». Cette faculté de l'organisme qui permet de ressentir l'impression de choses extérieures. Un jour elle est morte, comme «débranchée», ou «déconnectée» du sens (direction) de la vie.
5) C'est l'importance de la mémoire. Nos pensées sélectives gardent des dates, des images, des odeurs, et des heures, qui contiennent une partie de la puissance de notre souvenir. Dès qu'une chose est «importante», elle n'est plus un «détail». Ici, l'heure, est pour bien marquer le lien à l'événement pensé.
Cela aurait pu être :
«Un jour
Il faisait lourd et orageux, il m'en souvient...»
6) Votre question est belle ! Le lien est un clin d’œil. Pour plusieurs raisons :
- Le «je» meurt à cause d'une autre mort et repense aux étoiles dans le Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry.
- «Je» se souvient que l'être cher, disparue, aimait beaucoup les étoiles.
- On peut aussi croire à un autre «là-haut», plus vers les étoiles que vers un au-delà paradisiaque chrétien.
- Et je trouve la formule belle, je m'en suis déjà servi. J'ai écrit un roman de science fiction dont le titre est Coline douze ans, et des poussières d'étoiles.
Patricia Barrientos et Emilia Pastor
1- Pourquoi est-ce que vous êtes sans peur? Ou bien: ...est-ce que le personnage est sans peur?
2- Depuis que le personnage est mort, est-ce qu'elle veut que quelqu'un la «tue» encore?
3- Est-ce que c'est une bonne chose que le personnage soit mort parce qu'elle ne peut plus être tuée? Et pourquoi?
Marie Mélisou
1) Au contraire !!! Le personnage est bourré de peur. Surtout de failles. Il est fragile, d'où ce «Leitmotiv» pour essayer de se convaincre. Mais, paradoxalement, le personnage est aussi fort. Car sa mort était si «vraie», si «grave» qu'elle a lui a ouvert de nouveaux horizons. Comme un voile déchiré. La conscience des choses a été modifiée, une perception des gens est devenue différente, ses convictions même en ont été changées. D'où ce pouvoir de réaction intellectuelle. Au lieu de s'enfermer dans une colère générale contre autrui, le personnage réfléchit à comment ne pas/plus se faire atteindre, sa peur est muée en «plus jamais».
2) Non, surtout pas ! Mais elle redoute que ça arrive, tout le temps. En effet, lorsqu'on a été trahi une fois, comment croire de nouveau...
3) C'est une bonne chose, oui. Dans le sens du cliché : « Dans mon malheur, j'ai eu de la chance». Pourquoi ? Parce que ce personnage s'est «construit» de son malheur. Sans cette mort, elle était autre, avec des intérêts diffus, portant une jeunesse immature.
Je ne dis pas que l'on se construit uniquement de par ses épreuves, ses douleurs, ou ses échecs. Je suis sûre que les joies, les réussites, et les expériences heureuses nous construisent également. Mais je crois sincèrement qu'il faut franchir quelques tremblements de terre pour savoir, plus véritablement, qui l'on est.
J'ai répondu à toutes vos questions. J'ai peut-être été trop bavarde... C'est que, j'ai trouvé vos questions vraiment intéressantes et riches. Quand à savoir si j'ai été suffisamment claire dans mes réponses, c'est autre chose ! Encore merci.

© Marie Mélisou 14 octobre 1997
http://www.swarthmore.edu/Humanities/clicnet/litterature/moderne/melisou/interview.html

 

Leitmotiv

Un jour
Il était huit heures et des poussières,
Poussières d'étoiles,
Je suis morte.
Pour de vrai, pour de grave.
Depuis
Plus personne ne peut
Par volonté, par méchanceté, par gratuité
Quelle que soit l'heure
Me tuer.

© Marie Mélisou
http://www.swarthmore.edu/Humanities/clicnet/litterature/moderne/melisou/leitmotiv.html

 

   
   
   
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